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«L’argent, c’est du vent»

Portrait de Florian Candelieri.
© Thierry Porchet

Florian Candelieri n’a pas peur de dire «je t’aime».

Changer de système, remplacer l’argent par l’amour, telle est l’utopie de Florian Candelieri, un militant de tous les instants

A La Chaux-de-Fonds, il est connu comme le loup blanc. Florian Candelieri salue à tour de bras, et est abordé par des gens de tous âges et de tous milieux, que ce soit en marchant dans la ville ou sur une terrasse au soleil. Souvent, l’échange chaleureux se termine par un «Merci d’exister!» de ce militant du quotidien. «Cette petite phrase questionne la notion d’utilité, car, à mon sens, il n’y a pas d’autre raison que celle d’être en vie. L’existence même est magique et magnifique.»

Florian Candelieri cultive le bonheur, en méditant et en s’engageant dans nombre d’associations: Greenpeace, le SEL, les jardins du Mycélium, les Incroyables comestibles, Extinction Rebellion, Green-up, Espace (lieu collectif d’apprentissages et d’échanges pour les personnes issues de la migration), entre autres engagements permacoles, de sobriété heureuse et de solidarité. Pas étonnant que le presque quarantenaire soit l’un des protagonistes du film Héros ordinaires Neuchâtel réalisé par l’association du même nom. Dans ce documentaire, diffusé notamment durant le Festival du Film Vert (voir ici), Florian Candelieri incarne le collectif Partage, qui distribue chaque semaine à plus de 200 ménages précarisés des surplus alimentaires. Bénévole durant plus de sept ans, il fait aujourd’hui partie du comité. Lui-même a eu droit à son sac de nourriture hebdomadaire, car depuis une dizaine d’années, il a fait le choix de vivre avec le moins d’argent possible. Ce qui ne l’empêche pas de tendre une pièce de 5 francs, en plus de son sourire, à une mendiante. «Quand j’ai, je donne. Et très souvent, je reçois d’une manière ou d’une autre. C’est magique. C’est fou comme toute la société tourne autour de l’argent, alors que c’est du vent», lance celui qui vit en ce moment chez son frère. Et précise en souriant: «Je prends peu de place et j’ai très peu d’objets.»

La marge qui fait respirer la page

Rien ne prédisposait pourtant Florian Candelieri à vivre en marge du système économique néolibéral. Fils d’un tailleur immigré italien et d’une mère franco-suisse, il grandit à La Chaux-de-Fonds, étudie l’archéologie, l’économie et la psychologie à Neuchâtel. Son travail de mémoire porte déjà sur la monnaie dans le contexte greco-romain. «Toute l’économie est liée à une logique guerrière. La possession divise», explique-t-il.

En 2011, il crée une plateforme de location d’objets entre particuliers (e-syrent.ch) par souci écologique. «Mais dans ma tête, j’étais très libéral. Et plus la boîte grandissait, plus j’en voulais. J’ai été pris dans cette logique de croissance qui a fini par me faire péter un câble.» Florian Candelieri largue alors les amarres, part en voyage à travers l’Europe se laissant porter par les rencontres, s’invitant chez des gens, prouvant que l’hospitalité existe encore, mendiant, dormant dans la rue, faisant les poubelles… la confiance chevillée au corps. Le nomade vit quelque temps dans un monastère fribourgeois, avant de rejoindre sa ville natale. «Aujourd’hui, je n’ai plus de craintes de manquer, plus peur de l’autre, je continue mes expériences. Et même quand je demande de l’argent et qu’on me dit d’aller bosser ou de faire quelque chose de ma vie, j’avance dans ma conviction que c’est un autre système qui nous permettra de faire face aux bouleversements climatiques et sociaux. Nous sommes tous dans le même bateau. La clé, c’est un changement civilisationnel.»

Cultiver le bonheur

«L’argent, la course au profit et à la propriété, la peur de manquer génèrent beaucoup de violence et de haine. L’économie que je revendique est celle du don, du temps, du partage qui nourrit la paix. Faire pour autrui procure une joie et un bien-être intérieur qui rend heureux», explique le pacifiste.

En 2017, il décide de se présenter aux élections communales avec pour objectif de ne pas être élu et de prôner le tirage au sort. «L’horizontalité, l’intelligence collective est au cœur de cette idée. Les partis font trop de compromis. Comment un Vert peut-il accepter la construction d’une route? Tout vrai écologiste doit prôner la décroissance, au risque sinon d’être incohérent. Même si la perfection n’existe pas», tempère Florian Candelieri, qui ne cache pas ses propres paradoxes.

Fervent adepte d’un revenu de base inconditionnel (RBI), il n’a jamais demandé l’aide sociale. «Il n’y a aucune inconditionnalité dans ce système, et donc aucun amour. Au contraire du RBI qui, malgré ses défauts, pourrait ouvrir une brèche, et permettre à chacun de vivre ce qui l’anime, ses passions.» Et d’ajouter: «Alors que des gens croulent sous les milliards, la majorité galère et s’use au travail. La reproduction sociale des inégalités est insupportable. Or, tout ce qui arrive à l’un, arrive à tous. L’univers est un seul organisme, un seul champ d’énergie. On ne peut pas être heureux si l’autre ne l’est pas. Les problèmes écologiques et sociaux viennent du mépris de l’autre.»

Depuis sa prise de conscience, il y a une douzaine d’années, Florian Candelieri a fait du chemin. L’angoisse, la révolte et la volonté de convaincre ont laissé la place à une généreuse tolérance. «Aujourd’hui, je respecte le niveau de compréhension personnelle de chacun.» Tout en continuant de vivre pour un autre monde: «Comment amener la forêt dans nos états d’esprit? Soit l’énergie qui circule sans exploitation, en symbiose, avec une générosité sans limite. L’arbre fruitier vit sa vie et donne en abondance. C’est l’exemple ultime de l’altruisme.»