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«Jin Jîyan Azadî!»

Portrait de Sevgi Koyuncu.
© Olivier Vogelsang

Conseillère communale à Lausanne, Sevgi Koyuncu rêve de la paix et de la fin du capitalisme.

Depuis 14 ans en Suisse, Sevgi Koyuncu s’engage pour les femmes, le peuple kurde et la population lausannoise

«Je viens d’une famille exilée pendant l’Empire ottoman, dans les années 1600...» Sevgi Koyuncu donne le ton, quand on la questionne sur son parcours. Son histoire personnelle est imbriquée dans celle de tout un peuple. La militante est née il y a 43 ans, dans un village au centre de la Turquie. Les habitants sont kurdes, les fonctionnaires turcs (professeurs, police, politiciens). «J’ai vécu une enfance heureuse à la campagne, dans la ferme de mes parents, entourée d’animaux, avec une grande liberté, même si on travaillait beaucoup, continue-t-elle. Quand j’ai commencé l’école, dans une classe de 49 élèves, je ne parlais que kurde. Je me souviens du professeur qui nous frappait, dès qu’on parlait mal le turc…»

Toutefois, c’est seulement en arrivant au lycée à Ankara qu’elle prend conscience de la discrimination vécue par son peuple. «J’ai commencé à lire, à faire des recherches sur notre histoire, à découvrir les massacres, pour finir par me politiser. Déjà enfant, je ne supportais pas les injustices, j’ai toujours été très revendicative», dit-elle d’une voix douce et calme, sans cesser de sourire, avec ce réflexe de vouloir toucher affectueusement l’autre. Un trait culturel qu’elle a appris à retenir depuis qu’elle est en Suisse.

L’exil

A l’Université de la ville de Konya, elle devient une militante active, jusqu’au moment ultime où elle doit fuir pour échapper à la prison… Un exil douloureux, dans la précipitation, sans autre choix. Un épisode de sa vie qu’elle préfère taire. Lorsqu’elle arrive en janvier 2008 à Vallorbe, la beauté de la nature, le froid et la neige la frappent particulièrement, ainsi que les conditions d’accueil. «Dans le centre pour requérants d’asile, il y avait les couleurs du monde entier. Nous étions une trentaine de femmes dans une chambre. Un jour, l’une d’elles y a mis le feu, car sa demande d’asile avait été refusée.» Avec le recul, Sevgi Koyuncu pose un regard bienveillant: «Quand on est coincé, il arrive qu’on dépasse les limites.»

Pendant deux ans, elle vit dans l’attente du statut de réfugiée, son existence entre parenthèses. «Pendant tout ce temps, je vivais dans un foyer et je n’avais pas droit à des cours. J’avais réussi mes examens de dernière année à l’Université de Konya, mais je n’ai jamais reçu mes diplômes. Professionnellement, j’ai dû recommencer de zéro. J’ai toujours voulu devenir enseignante, mais avec les difficultés à apprendre la langue, et surtout après la naissance de mon fils il y a 8 ans, puis mon divorce, j’ai remis les pieds sur terre. Je devais trouver un métier rapidement.»

Sevgi Koyuncu se résout donc à une formation d’assistante socioéducative, métier qui lui permet aujourd’hui d’être en lien avec les enfants qu’elle adore, en travaillant dans une structure d’accueil parascolaire. «Je suis très contente de ce choix, même si le métier est mal reconnu et les horaires un peu difficiles.» De fait, ses journées entrecoupées de pauses commencent à 6h30 pour se terminer à 19h. S’y ajoutent ses engagements politiques et militants.

Un siècle du Traité de Lausanne

Sevgi Koyuncu a cofondé en 2017 Lajîn - l’Assemblée des femmes kurdes Vaud dont l’objectif est de «porter la lutte des femmes pour une vie démocratique, écologique et libérée des impératifs du genre». Elle manifestera, comme chaque année, ce 25 novembre, Journée internationale contre les violences sexistes et sexuelles. Se référant à la Jineolojî, ou science des femmes, elle souligne que la libération de la société passe par celle de la femme. «On a besoin de mouvements féministes qui ouvrent des chemins, qui réfléchissent, qui puissent préparer le futur. Faire tomber les despotes est une chose, il faut ensuite pouvoir être prêtes pour créer la société de demain.»

La militante ajoute, enthousiaste: «Depuis quelques années, avec la victoire contre Daech, et l’expérience du Rojava, on parle davantage du Kurdistan. C’est le moment de descendre dans la rue et d’expliquer nos luttes, face au siècle de massacre, de migrations forcées, de répressions et de politique assimilationniste envers la population kurde de Turquie. Il est temps aussi de rappeler les responsabilités internationales. Les pays européens doivent reconnaître leurs erreurs et nos droits», explique celle qui participe à l’organisation des 100 ans du Traité de Lausanne. Pour mémoire, le 21 novembre 1922 s’ouvrait, dans la capitale vaudoise, la Conférence pour la paix au Proche-Orient. Huit mois plus tard, le 24 juillet 1923, l’accord était signé. Avec entre autres conséquences la division du Kurdistan entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie… et tant de conflits.

Conseillère communale

Elue en mars 2021 au Conseil communal de Lausanne, sous la bannière d’Ensemble à Gauche et du POP, Sevgi Koyuncu espère représenter «ces 40% de population étrangère, immigrée, qui ne maîtrise pas toujours la langue française, dont les métiers sont mal payés, et vivent dans des quartiers populaires». Cette mère célibataire a depuis entamé le long processus de la naturalisation, tout en soulignant: «C’est important que les personnes qui habitent en Suisse puissent choisir leurs dirigeants. La naturalisation ne devrait pas être obligatoire pour cela.»

Depuis que son fils est né dans la capitale vaudoise, elle se sent appartenir à sa terre d’accueil. «Avant, je pensais au retour. Maintenant, ma vie est ici. Mais j’aimerais beaucoup aller au Rojava, cette utopie devenue réalité, où la démocratie, l’écologie et l’égalité sont au cœur du projet. J’ai un grand espoir qu’avec la révolution des femmes iraniennes, l’on se rapproche de l’unité du Kurdistan, nation démocratique, sans nationalisme, pour tous les peuples, véritable alternative au capitalisme.» Emplie d’un profond désir de paix, elle murmure pour conclure: «Jin Jîyan Azadî! La Femme, La Vie, La Liberté!»