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«Je continuerai à militer»

Portrait d'Alessandro Pelizzari.
© Sébastien Anet

«Chaque fois qu’un syndicat arrive à canaliser la force collective des travailleurs et les aide à dépasser la peur qui règne sur les lieux de travail, il fait quelque chose de grand», affirme Alessandro Pelizzari.

Après 14 années passées à Unia Genève, le secrétaire régional Alessandro Pelizzari tire sa révérence. Bilan, avenir et souvenirs au coeur de l’entretien

Alessandro Pelizzari est sur le départ. Le 30 juin, il laissera sa place de secrétaire régional à Unia Genève pour rejoindre pleinement son nouveau poste de directeur de la Haute Ecole de travail social et de la santé à Lausanne (HETSL). Une opportunité pour cet homme de 45 ans qui a souvent jonglé entre sa carrière universitaire de sociologue et le syndicalisme. Avant d’intégrer Unia en 2006, il est militant d’Attac et assistant d’université à Fribourg. Souvent abordé pour briguer des postes de cadre syndical, il refuse. C’est finalement Jacques Robert qui réussit à le convaincre de commencer en tant que secrétaire syndical de la construction, alors qu’il rédige sa thèse. Une expérience de terrain qui l’amènera deux ans plus tard, en 2008, au poste de secrétaire régional, le jour même où il soutiendra sa thèse. L’heure est aujourd’hui arrivée pour Alessandro Pelizzari de revenir à ses premières amours, sans pour autant se détacher du mouvement. Il dresse le bilan pour L’Evénement syndical.


Pourquoi avoir pris la décision de partir?

Après 14 ans dont douze à la tête de la région, j’ai eu le sentiment qu’il était mieux de laisser la place à quelqu’un d’autre, sachant que je n’ai jamais eu l’ambition d’aller au comité directeur. J’ai horreur de la bureaucratie, et la meilleure manière de la combattre c’est de ne pas y contribuer. Pour mener le travail syndical, il faut savoir se réinventer tous les jours. Même si le syndicalisme me passionne encore, je crois que la relève saura mieux le faire. Je quitte un monde qui m’a beaucoup apporté, mais ce qui m’attend à la HETSL me séduit: renouer avec le travail académique et le lier avec mon expérience syndicale est un très joli défi.

Je dois dire aussi que l’équipe d’Unia Genève a facilité mon choix de partir, car je sais que le projet syndical que nous avons forgé ensemble continuera après mon départ. Je pars au bon moment.

Ces dernières semaines n’auront pas été de tout repos…

Entre la gestion du cas de harcèlement sexuel à l’interne et le Covid-19, ces derniers mois ont été chargés et difficiles. Ces événements ont montré le pire et le meilleur dont est capable le syndicalisme. Le mouvement syndical genevois ne sort pas grandi de cette affaire, même si je trouve que nous l’avons plutôt bien gérée à l’interne d’Unia. Et surtout, malgré les circonstances, notre équipe a su être présente sur le terrain et aux côtés des travailleurs au front durant la crise sanitaire: elle a pris des risques et fait des choses formidables pour les protéger. J’en suis extrêmement fier. On a prouvé notre utilité et on n’a jamais reçu autant de messages de soutien et de remerciements.

Quels sont les grands événements qui ont marqué votre mandat?

L’expérience des grèves, qu’elles aient été spectaculaires comme chez Merck Serono ou dans la construction, ou les nombreux débrayages plus discrets que nous avons organisés, m’a profondément marqué. Chaque fois qu’un syndicat arrive à canaliser la force collective des travailleurs et les aide à dépasser la peur qui règne sur les lieux de travail, il fait quelque chose de grand. Et quand les travailleurs s’approprient leur lutte en faisant passer l’appareil syndical au second plan, nous avons vraiment fait notre boulot. De ce point de vue, l’une des mobilisations qui m’a le plus impressionné est celle d’ABB, où les travailleurs ont littéralement pris en main leur entreprise et ont occupé leur usine pendant plus d’une semaine.

Sur le plan plus politique, je dirais PV2020. Je suis content d’avoir pu donner une voix à l’opposition syndicale à l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes, à contre-courant des ténors du Parti socialiste et des centrales syndicales. Cela ne m’a pas fait que des amis dans nos rangs, mais je suis fier d’avoir contribué à ce que toute une génération de femmes puisse partir un an plus tôt à la retraite. Cette indépendance envers les partis gouvernementaux est un acquis précieux. C’est elle qui nous a permis, dans une région frontalière comme Genève, de rester crédibles envers les travailleurs et de nous imposer tant contre les forces libérales que nationalistes. La création de l’inspection paritaire des entreprises (IPE) en est un des résultats.

Y a-t-il des déceptions?

Le travail syndical quotidien est fait de déceptions! Sur une grève réussie, il y a au moins dix tentatives qui échouent, des assemblées avec peu de participants, des campagnes qui ne marchent pas, des membres qui démissionnent… Personne n’a encore trouvé la formule magique du syndicalisme du XXIe siècle, qui doit composer avec un marché du travail qui se transforme en permanence. Le problème de notre organisation ne se situe d’ailleurs pas tant dans ces échecs de construction syndicale, que dans la difficulté d’en comprendre les raisons. Il y a une tendance lourde à la bureaucratisation qui empêche le syndicat de s’adapter et de prendre des décisions courageuses là où il le faut. Ma frustration au niveau personnel est de ne pas avoir osé plus déprofessionnaliser l’appareil et laisser davantage de place aux militants, qu’ils soient bénévoles ou salariés du syndicat.

Qu’est-ce que votre expérience à Unia vous a apporté?

Personnellement, je pars avec une valise remplie de souvenirs très forts, de moments et d’images que je n’oublierai jamais. Le métier de syndicaliste est un métier extraordinaire: on est témoin de dynamiques sociales incroyables, et on peut arriver à faire changer des choses qui ont un impact réel dans la vie des gens. Professionnellement, je suis très reconnaissant de ce qu’Unia m’a permis d’apprendre: négocier, gérer une grande organisation complexe et plusieurs dossiers en même temps et travailler sous stress intense. Et finalement, j’ai appris que tout travail est un travail collectif. Le syndicalisme que nous avons construit est le fruit de toute une équipe.

Quel bilan peut-on dresser du syndicalisme genevois?

Je pense que, modestement, nous avons réussi avec Unia à contribuer à un syndicalisme ancré sur le lieu de travail, démocratique, avec l’envie d’être près des gens. Certes, le nombre important de conflits collectifs que nous avons menés et notre ligne politique confrontative nous a valu l’image de «fossoyeurs du partenariat social». Mais, je suis convaincu que, si on ne crée pas un rapport de force sur le terrain, on ne peut pas négocier au même niveau que les patrons ni obtenir des avancées. De ce point de vue, le bilan n’est pas mauvais.

Au niveau intersyndical, Unia Genève a été le moteur principal pour refaire de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) un acteur politique important, capable de mener des campagnes et des manifestations d’envergure. Malheureusement, certains représentants syndicaux du Sit et du SSP ont instrumentalisé la récente affaire de harcèlement sexuel pour se profiler au détriment d’Unia. Cela va laisser des traces, indéniablement.

Quels sont les grands défis à venir?

Avec la crise économique qui s’annonce, il sera plus que jamais décisif de résister aux pressions des forces patronales et gouvernementales, et de défendre sans concession les intérêts des travailleurs. En tant que plus grand syndicat de Suisse, Unia doit oser assumer ce rôle, si nécessaire contre tout le monde, comme nous l’avons fait durant la crise sanitaire en revendiquant la suspension de toute activité économique non essentielle. Et Unia doit être capable de répondre au «besoin de syndicat» qui existe indéniablement dans notre société, et devenir l’organisation qui sait accueillir les jeunes qui se sont exprimés par dizaines de milliers dans les grèves féministes ou pour le climat, et qui sont les futurs travailleurs, notamment dans des branches du tertiaire.

Des conseils à donner à votre successeur?

Je n’ai pas de conseil à donner. Mais, comme je sais que certaines associations patronales s’attendent à un «retour à la normale» à la suite de mon départ, à un syndicalisme plus consensuel, je ne peux qu’espérer que la section genevoise saura maintenir le rapport de force pour leur prouver le contraire.

Resterez-vous proche du mouvement syndical?

J’étais militant et syndicaliste avant de travailler pour Unia et je le resterai. Je suis très attaché à la section de Genève et je compte bien être présent lors des manifestations et donner un coup de main, sans être encombrant.

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