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En mission pour le bien commun...

Portrait de Laurent Guidetti.
© Thierry Porchet

«Pourquoi regarde-t-on ailleurs quand la maison brûle?» s’interroge Laurent Guidetti qui préfère agir.

Architecte urbaniste, Laurent Guidetti appréhende son travail à l’aune de l’urgence écologique. Et plaide pour la décroissance, même s’il estime l’effondrement inévitable

Rouge, verte et noire: trois couleurs inspirantes pour Laurent Guidetti symbolisant son engagement socialiste et écologique et ses sympathies anarchistes. Un positionnement qui s’exprime aussi bien dans son travail que dans sa vie. Architecte urbaniste, le Lausannois de 52 ans appréhende sa profession dans une approche globale, territoriale, systémique, où la thématique écologique et l’insertion dans un site occupent une place majeure. Dans cet esprit, il a cofondé TRIBU architecture, un bureau et une équipe défendant des valeurs de durabilité et de solidarité. Pas question de bâtir une villa à la campagne. D’accepter des mandats en porte-à-faux avec l’orientation prise. «De manière générale, nous préférons ne pas construire de nouveaux logements et en transformer d’anciens, mais c’est le marché qui décide», nuance Laurent Guidetti, tout en notant que, pour garder la mainmise sur des projets, TRIBU se positionne parfois aussi comme maître d’ouvrage ou assistant en la matière.

La voiture, symbole d’un privilège

«Ce créneau nous offre davantage de possibilités d’action. Nous tentons de le favoriser. Comme nous l’avons fait pour la coopérative d’habitation du Bled, à Lausanne», ajoute le professionnel, qui vit avec son épouse et leurs trois enfants dans ce lieu. Reste que son bureau ne peut se soustraire à toutes les contraintes auxquelles sont soumis les gens du métier. Comme, par exemple, l’obligation de prévoir, lors de la construction d’immeubles, un nombre minimal de places de parc. Un impératif qui irrite l’architecte estimant nécessaire de réduire, voire de supprimer définitivement les voitures, sauf pour les besoins avérés comme les services d’urgence par exemple. «La voiture est l’expression d’un privilège territorial. Comme je m’oppose aux privilèges, je veux réduire les transports individuels motorisés. Quant aux véhicules électriques, il s’agit d’une fausse bonne idée compte tenu de l’extraction des matériaux nécessaires dont des terres rares, des conditions de travail dans les mines, du recyclage des batteries, etc.», lance celui qui se déplace à trottinette ou recourt, quand il a besoin d’un véhicule, à l’autopartage. «Je parcours annuellement entre 700 et 2000 kilomètres selon les années. Et ne prends plus l’avion depuis vingt ans», ajoute encore l’ancien conseiller communal socialiste, qui a aussi renoncé à son poste de codirecteur à TRIBU, contrarié par l’opposition patron-employés qui empêche de dépasser des rapports de travail réducteurs.

Expression de l’anthropocène

Questionné sur sa vision du logement du futur, Laurent Guidetti estime que celui-ci existe déjà. En d’autres termes, qu’il faut transformer la ville et les appartements actuels et s’interroger sur le nombre de mètres carrés nécessaires à une personne à l’aune de la croissance démographique. «Il manque de manière générale une idée commune de l’habitat. La façon dont est aménagé le territoire est l’expression de l’anthropocène et du système néolibéral. Il faut renouer avec le bâti, ne construire que sous exception, réduire l’espace octroyé à chacun et opter pour une mutualisation des biens et des ressources. Le logement du futur donne sur des rues habitables, arborisées et non consacrées à des places de stationnement.» Plus que des mots dans la bouche du jeune quinquagénaire qui a déjà anticipé le départ de ses enfants et prévu de diviser alors l’appartement, dont une partie pourra être louée. Il a aussi installé des toilettes sèches et cultive sur son balcon des plantes comestibles. «Au printemps, je passe une heure par jour à m’en occuper. Je m’extasie à les regarder pousser.» Même attitude émue devant le «tout petit paysage» que lui offre la cour intérieure de la coopérative où il réside. «Je découvre alors les vacances à la maison à regarder les arbres qui croissent, des gamins qui s’amusent, des personnes qui déambulent... C’est l’expression de tout ce que nous avons réussi au Bled, sans bagnole, un sentiment d’Italie sauf qu’on y parle français.» L’architecte urbaniste, qui enseigne également la durabilité à l’école d’architecture de Fribourg, a par ailleurs écrit un livre, Manifeste pour une révolution territoriale, où il insiste notamment sur l’urgence d’agir.

Effondrement inéluctable

«Pourquoi regarde-t-on ailleurs quand la maison brûle?» s’interroge cet écologiste de la première heure, en 1987 – alors élève au gymnase, il avait déjà fait un exposé sur le thème du réchauffement climatique. Mais si Laurent Guidetti plaide pour la décroissance – un mot synonyme de qualité de vie sur ses lèvres –, il ne croit plus à la possibilité de redresser la barre. «L’effondrement me paraît inéluctable. Il faudrait diviser par 27 nos émissions de gaz à effet de serre pour respecter l’Accord de Paris. C’est mort. On ne changera pas», affirme cet homme, tout en confiant sa peur pour ses enfants. Ce pessimiste se définissant encore comme un radical pragmatique, un missionnaire pour le bien commun – «C’est mon épouse qui le dit» – reste néanmoins positif. «Je profite du moment présent, me prépare au pire et ça ne m’empêche pas d’agir. Le bonheur, c’est le fait de vivre en accord avec soi et ses valeurs», affirme le militant climatique, qui a participé à plusieurs manifestations et blocages. Mais il estime aujourd’hui qu’il faut réinventer les modalités d’action, tout en insistant sur leur légitimité. D’une émotivité accrue depuis 2018 où il est devenu collapsologue, cet éco-anxieux précise encore ressentir le besoin de se retrouver dans sa communauté. En clair avec des personnes qui partagent ses préoccupations et son engagement, aussi pour éviter le rejet fréquent et douloureux des autres. Même si l’ironie, l’humour décalé permettent à Laurent Guidetti – qui a pratiqué de nombreuses années l’improvisation théâtrale – une distanciation bienvenue. Et l’ancien comédien de lancer en guise de mot de la fin, sourire dans les yeux, un «bonne chance!» inquiétant...