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D’Infrarouge à la frénésie répressive made in Switzerland

Dans le désordre chronologique, mais dans l’ordre du récit composant cette chronique, cela commence par l’intitulé de la plus récente émission Infrarouge diffusée mercredi 6 octobre dernier par la RTS.

Au premier abord il paraît d’une innocence accomplie. C’est «Le climat est-il au-dessus des lois?» Or une objection point bientôt dans votre esprit. Au fond, songez-vous, pourquoi ne pas avoir inversé le schéma? En écrivant par exemple «Nos lois sont-elles obsolètes face au dérèglement climatique » Ou « Comment rendre la justice à la hauteur des enjeux climatiques actuels?»

Eh bien je connais la réponse: il faut saluer et conforter, par le biais de ce lapsus impeccablement formulé sur les hauts plateaux de «votre télévision», les structures et les comportements juridiques existant aujourd’hui dans le cadre confédéral. Le «dispositif», comme dit l’essayiste italien Giorgio Agamben. Il faut même les pérenniser dans l’esprit commun. Voilà pour le symptôme.

Ensuite, cela continue par une séquence fondatrice en provenance du Tribunal fédéral. Ses juges décrétant en effet le 26 mai dernier, sous l’effet d’une médiocrité réflexive massive figée par leurs asservissements partisans respectifs, que le réchauffement climatique ne constitue pas un «danger imminent» pour nos sociétés humaines – malgré les hectares de références scientifiques démontrant l’inverse à l’échelle de la planète. Et décrétant en conséquence que les militants environnementaux du genre Extinction Rebellion ne sauraient justifier leurs actions symboliques, soient-elles pacifiques, au nom d’une «nécessité licite». Tel est le foyer des pulsions répressives à l’œuvre en Helvétie.

Enfin, cela s’aggrave par le biais de quelques petits procureurs généraux cantonaux qui se frottent les menottes, si je puis dire, sur leur robe de fonction. Qui s’enivrent, dans la foulée jurisprudentielle commise par l’instance faîtière, d’une frénésie punitive de plus en plus joyeuse et stimulée. Prenez le magistrat radical qui est à l’œuvre chez les Vaudois et qui prévoit de traîner en justice, ces prochains mois, quelque 200 activistes du climat prévenus de désobéissance civile. Par bonheur malicieux j’entends déjà leurs petits-enfants fredonner peut-être encore ce refrain d’une chanson possible: «Secouez le Cottier, secouez le Cottier!»

Ou prenez son confrère qui est à l’œuvre à Zurich ou du moins n’inspire pas, dans le sens de la mesure, les forces de police au travail dans les rues de cette ville. Au point qu’elles ont arrêté, ces jours passés, plus de 130 ou 140 jeunes gens accusés de bloquer les rues locales au nom symbolique de l’urgence climatique. Au point aussi qu’elles ont bouclé dans leurs cellules des protestataires infiniment respectables, comme les septuagénaires lausannois Pascal et Isabelle Veillon qui sont restés près de 48 heures en garde à vue. Et au point, enfin, qu’elles ont menacé d’expulsion territoriale temporaire certaines de leurs proies l’ayant fait savoir aux journaux.

Ce délire en expansion touche désormais au prodigieux. Observé dans un pays dont l’orgueil moral se nourrit d’une prétention constante à l’exercice de la bienveillance caritative et du consensus, par la grâce d’une rhétorique confinant souvent à l’arrogance, il signale une dérive collective névrotique spectaculaire à l’aune du continent.

En 2013 déjà, l’organisation non gouvernementale Humanrights évoquait, sous le titre «Obsessions sécuritaires et débordements menacent le droit de manifester pacifiquement», un durcissement déjà patent des pratiques adoptées dans ce domaine par tel ou tel de nos cantons voire à l’échelon confédéral. Au point que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, rappelant le caractère consubstantiel de l’ordre démocratique et du droit de protester pacifiquement, expliquait que «si la Suisse interdit des manifestations à la légère, cela donnera une bonne raison aux Etats répressifs de faire de même».

Nous sommes donc à ce stade en cet automne 2021. Et maintenant s’impose, au moment d’articuler la défense des manifestants pour le climat (qui pourraient d’ailleurs être tout aussi bien des manifestants politiques ou syndicaux selon les circonstances), un recours à la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci posant, à la faveur de la «Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales» ratifiée par la Suisse en novembre 1974, les principes de la liberté d’expression, de réunion et d’association. D’ici là l’air domestique est irrespirable.