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Cats & Dogs: désarroi, colère et tristesse

Mobilisation devant un magasin de l'enseigne.
© Thierry Porchet

N’ayant toujours pas reçu leur salaire du mois d’octobre, des vendeuses et des vendeurs de l’enseigne établie dans plusieurs villes de Suisse romande ont été contraints de démissionner. Ils ont témoigné la semaine dernière de leur difficile situation

«Je suis déçue, en colère et surtout triste. J’ai consacré une grande partie de ma vie à cette société pour me retrouver, à 55 ans, au chômage. C’est inadmissible.» Des larmes plein les yeux, Priska témoigne de sa situation après avoir démissionné d’un magasin Cats & Dogs à Lausanne, au terme de 19 ans d’activité. Elle s’est exprimée aux côtés de six autres collègues lors d’une conférence de presse organisée la semaine dernière par Unia dans la capitale vaudoise. L’occasion pour le syndicat de revenir sur les différentes démarches entreprises pour épauler les employés. Rappelons qu’une vingtaine d’entre eux sur les 35 actifs dans les 15 commerces vaudois, neuchâtelois et genevois de l’enseigne n’ont pas touché leur salaire d’octobre ou seulement un acompte largement insuffisant pour vivre (voir nos éditions des 9 et 16 novembre derniers). Pour cette raison, environ un tiers des effectifs a jeté l’éponge. «J’aimais beaucoup mon travail. J’ai occupé différents postes. J’étais loyale et la plus ancienne de l’équipe. Mais il faut bien manger», poursuit la quinquagénaire la voix brisée, confiant être restée fidèle à Cats & Dogs en dépit d’un burn-out en 2018 et de crises antérieures. De son côté, Unia a donné des précisions sur les rémunérations impayées, l’accompagnement des démissionnaires et les investigations menées en ce qui concerne les charges sociales. Le syndicat a aussi souligné les nombreux dysfonctionnements de l’entreprise et «le mépris» de l’employeur à l’égard de ses collaborateurs «en détresse financière et morale».

Surveillance permanente

«Nous avons reçu en septembre une lettre anonyme du personnel détaillant l’ensemble des problèmes», indique Tamara Knezevic, secrétaire syndicale d’Unia. Une longue liste de doléances: gestion catastrophique, absence de contrats de travail pour plusieurs salariés, versement des salaires à des dates irrégulières, allusions qualifiées de sexistes, management de la peur, surveillance à outrance, etc. Sur ce dernier point, les employés, qui communiquaient toujours par WhatsApp avec leur patron, Nizar Dahmani, devaient quotidiennement envoyer des photos des magasins et d’eux afin qu’il puisse vérifier leur tenue vestimentaire. «J’ai refusé pour ma part. Il a alors mandaté une personne qui m’a photographiée en pied, de dos, et l’a postée sur le groupe», raconte Virginie pour le moins offensée. «A la limite, je peux encore comprendre qu’on prenne des images des rayons des commerces mais pas de nous!» Et Marcia de renchérir: «C’est immoral et illégal. J’ai suggéré qu’on recourt à des uniformes ou qu’on soit tenu à un code de couleur vestimentaire. Le patron m’a rétorqué, toujours via des textos, qu’en tant que Portugaise – il m’appelait toujours Maria au lieu de mon vrai prénom – je ne connaissais pas les lois.»

Un outil de travail en or

A tour de rôle, les membres de la délégation partagent leur indignation et leur désarroi. Comme Nicolas, frontalier, qui ne peut pas donner sa lettre de congé au risque d’être pénalisé quatre mois par Pôle emploi. Et qui, dans ce contexte, souhaiterait être licencié, mais n’est pas entendu. «Je suis pris en otage. Le patron a supprimé mon contact du groupe WhatsApp. L’argent que nous réclamons, il nous le doit pourtant. Je travaille pour Cats & Dogs depuis janvier 2009. Je n’ai jamais baissé les bras en dépit des deux crises traversées par l’entreprise. Je suis choqué, énervé, abasourdi.» Rosana, en arrêt maladie, est suivie de son côté par un psy et sous antidépresseurs. Et demande comment elle va vivre, les primes pour allocations pertes de gain n’ayant pas été payées par l’employeur. «Il m’a aussi ôtée du groupe du réseau social, bien que je n’aie pas démissionné. J’ai dû m’endetter pour payer mes factures», explique-t-elle, précisant qu’en raison du manque d’effectifs, de journées de travail de dix heures, elle a fini par s’effondrer. Sans oublier les problèmes de salubrité rencontrés dans le commerce où elle travaillait, «infesté de souris»...

Marcia, des sanglots dans la voix, ajoute: «J’ai dû vider mes économies pour m’en sortir.» Tous s’accordent pourtant à dire que les Cats & Dogs, mieux gérés, se révèlent lucratifs. «Nous avions un outil de travail en or dans les mains», affirme Nicolas. Une faible concurrence, une clientèle fidèle et, surtout, un personnel dévoué, autant d’atouts qui auraient pu, selon eux, faire la différence. «On est des passionnés, lance encore Virginie. Ça me fait mal de quitter l’enseigne, mais je n’ai pas envie de travailler gratuitement.»

Faiblesse des dispositifs légaux

Tamara Knezevic insiste elle aussi sur le «dévouement incroyable des employés» – une majorité de femmes dont plusieurs mères élevant seules leurs enfants – en dépit de salaires n’atteignant même pas, pour certains, 4000 francs brut. «Mais là, ça suffit. Ce n’est pas une association de bénévoles.» «Cette situation, note encore Giorgio Mancuso, responsable du secteur tertiaire à Unia Vaud, est désormais d’autant plus difficile à dénouer que nous avons perdu notre dernier interlocuteur, la fiduciaire mandatée par le patron.» Celle-ci, note-t-il, vient en effet de suspendre sa prestation, ses honoraires n’ayant pas été versés. «Nous allons désormais nous battre pour aider au mieux le personnel et ouvrir des actions en justice. Mais on connaît la lenteur des procédures d’autant plus ralenties en période de Fêtes», ajoute Giorgio Mancuso, évoquant encore au passage «les poursuites se chiffrant en millions dont fait l’objet le patron». «On remarque dans ce cas encore la faiblesse des dispositifs légaux en matière de faillite et les dérives de la liberté du marché. Avec des employeurs qui, rencontrant des difficultés de liquidités, ferment boutique, laissant une ardoise à la communauté, pour rouvrir sous d’autres raisons sociales. Là, c’est le même scénario.» Et les deux collaborateurs syndicaux de répéter l’urgence actuelle à laquelle se confronte le personnel: trouver des moyens pour survivre. Dans ce sens, ils ont lancé un appel aux centres commerciaux où se situent le plus souvent les Cats & Dogs pour qu’ils proposent à leurs protégés d’éventuels postes vacants...

Conférence de presse.
Giorgio Mancuso et Tamara Knezevic (au centre), syndicalistes d’Unia, et des employés de Cats & Dogs ont fait état de nombreux dysfonctionnements au sein de la chaîne. © Olivier Vogelsang

 

«Nous allons renflouer le bateau»

Contacté par téléphone le 17 novembre, Nizar Dahmani, le patron, promet que les salaires impayés du mois d’octobre seront réglés dans les dix jours. Il précise encore qu’il y aura moins de retard pour les rémunérations de novembre et que la situation sera de nouveau saine d’ici au début de l’année prochaine. «Grâce à l’apport de fonds propres, je suis très optimiste. Nous allons renflouer le bateau. Nous ne sommes pas surendettés. Il n’y a pas de faillite en vue. Nous allons diversifier nos activités via la vente en ligne et maintenir et consolider les quinze magasins restants.» Questionné sur l’exigence d’envoi des photos du personnel, il souligne avoir abandonné cette pratique. «Je le demandais car certains employés étaient très mal habillés et coiffés. On se serait parfois cru à une rave party. Ce n’était pas abusif, mais une minorité me l’a reproché. J’ai donc renoncé.» Les communications avec les collaborateurs essentiellement via WhatsApp sont expliquées par le gain de temps qu’offre ce média. «Je ne peux être partout, me dédoubler. J’ai beaucoup de travail. C’est un excellent moyen. Et je suis toujours atteignable.» Aussi pour le syndicat? «Nous sommes en lien par personnes interposées et ça se déroule très bien. La personne responsable de l’administratif a un contact journalier avec le syndicat», affirme Nizar Dahmani, qui estime «correct» que les problèmes de liquidités et de salaires rencontrés par la chaîne aient fait beaucoup de bruit. «Tout le monde s’inquiète. Mais il ne faut pas non plus s’acharner. C’est la première fois en trente ans que nous accusons du retard sur les salaires des vendeurs.»

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